regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit
[jrnl|temps passé]
Je n’ai pas vu la dame âgée dans son fauteuil roulant, seulement son canapé au tissu à dominante jaune, fané et démodé, les coussins dépareillés. Dans le tram, la jeune femme au JOT framboise, toujours à la même place, regarde inlassablement le paysage défiler devant ses yeux. J’aperçois sa carte professionnelle dépasser de la poche de son jean. Impossible de lire le nom de l’entreprise. Un père et son fils d’origine espagnole s’installent en face de moi. Ils échangent dans leur langue. Je n’écoute pas, je lis. Le long des quais, je croise un couple, je crois reconnaître la langue, les intonations, du russe. Ils marchent d’un pas lent, distant l’un de l’autre. J’intercepte leur regard. J’ai l’impression qu’ils ne sont pas d’accord. Elle ne dit rien, lui parlemente.


Le brouillard recouvre la ville, les trottoirs humides absorbent la faible lueur des réverbères. Je ne croise personne dans les rues. Les trois portes-fenêtre du numéro 12 de la rue de la République sont bien fermées, aucune lumière à l’intérieur. Aucun signe du petit homme à la casquette blanche. Je note, ça fait deux matins de suite. Le tram D se détache au croisement des rues. C’est un modèle réduit, pas beaucoup de places. J’en trouve une dans le carré, en décalé de la jeune femme au JOT framboise. Ce matin, ses cheveux sont humides, quelques mèches tombent sur son front. Sourire toujours absent, visage fermé, elle a un sac à dos noir sur ses genoux, un petit sac kaki en bandoulière. Elle pianote sur son téléphone puis regarde inlassablement au-dehors. Autour de nous, des personnes toussent.

Ce matin, je suis partie à l’heure. Marche tranquille d’une douzaine de minutes dans la pénombre ponctuée par l’éclairage tamisé des réverbères. Certaines rues en sont dépourvues ou presque, il fait noir. On peine à voir où l’on met les pieds. Au numéro 12, le volet du milieu est entrouvert, j’aperçois en retrait sur la droite une partie de la cuisine. Dans le tram, carré de droite, la jeune femme au JOT framboise est avachie sur le siège et à côté d’elle, deux femmes discutent jusqu’à que l’une d’entre elles descende à l’arrêt Barrière du Médoc. La plus sympathique me reconnaît et me dit bonjour. Dehors, il fait encore doux pour un mois d’octobre et la température devrait monter jusqu’à atteindre les 30 degrés dans la journée. Certains pointent du doigt le dérèglement climatique, d’autres s’en moquent. En attendant, les trois pieds de vigne sur ma terrasse entament une deuxième fleuraison, s’épuisent à ne plus rien comprendre. Même l’érable japonais qui règne en maître au milieu du jardin et avait perdu cet été la moitié de son feuillage est à présent en nouvelle floraison. En bout de branche, de jeunes pousses vert tendre apparaissent. Le long de la place des Quinconces, les platanes sont pratiquement dépouillés de leurs larges feuilles. Nous sommes deux à descendre place de la Bourse, je regarde s’éloigner d’un pas énergique la petite femme qui traverse la place en diagonale et disparaît dans le bâtiment du CIC.