regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit
[jrnl|temps passé]
Ciel gris uniforme, petit crachin et aucun désir d’aller plus loin ce matin. Le tram s’arrête dans un crissement de frein, un bip et les portes s’ouvrent. En début de rame, j’ai repéré cet homme corpulent qui a souvent voyagé à l’arrière dans le carré durant l’hiver. Teint mat et le visage figé, les mains posées sur ses cuisses, son corps s’étale sur pratiquement deux sièges. Parfois, il fermait les yeux, poursuivait sa nuit, se replongeait dans ses pensées sans révéler ce qui le préoccupait à cet instant.

Assise dans le sens inverse de la marche, je regarde la rue s’éloigner, en fuite, alors que l’avenir se joue dans mon dos. La chaleur m’avait saisie dès l’entrée dans le tram. Déjà la barrière du Médoc, mon corps s’était régulé. Dans la rue, peu de piétons, mais une harmonie de parapluies et de capuches. Il est encore tôt et l’église Saint-Ferdinand présente ses portes fermées, une façade triste noircit par la pollution, alors qu’autour, la pierre blonde a retrouvé toute sa beauté et éclaircit la rue.

Le lendemain, le sang bat dans l’artère du cou, le souffle est court, le tram referme ses portes. Les voyageurs, nez penché sur leur portable, écouteurs dans les oreilles et coupés du monde extérieur, laissent couler sur leur carapace hermétique le paysage extérieur. Je repère un visage qui ne m’est pas inconnu, tête allongée, fine moustache, cheveux courts et bouclés sur le dessus de la tête. Je le retrouverai plus tard avec sa veste en jean fourrée, assis sur un banc en train de vapoter non loin de l’entrée du bâtiment D, souvent penché en avant, les coudes posés sur les genoux, parfois en discussion avec un camarade.

Aux Quinconces, les employés municipaux ont commencé à démonter les baraquements des antiquaires. Ils en auront pour plusieurs jours.

7 heures 44, le train démarre avec une minute d’avance. Sièges 17 et 18 réservés, encore une fois dos à la marche. On traverse la Garonne aux reflets dorés en longeant la Passerelle Eiffel. Il fait beau et le TGV prend de la vitesse. Dans le carré, une famille et deux jeunes enfants aux voix stridentes, plus l’habitude. On longe la Garonne, des résidences en construction, on rentre dans un tunnel et les oreilles se bouchent. Au-dessus le pont d’Aquitaine se détache dans le ciel, puis c’est la zone portuaire, un pré et quelques chevaux, l’autoroute puis la Dordogne à enjamber. Le temps de lire quelques lignes et le ciel devient gris uniforme. À 8 heures 37, Poitiers est derrière nous, un paysage de campagne défile. Le wifi est instable. G. m’envoie un message alors qu’on approche de Vendôme et que je viens de lire son post qui évoque Dalva de Jim Harrison. Déjà, c’est l’entrée en gare Montparnasse, il est 9 heures 57 et il fait beau.
j’ai un peu voyagé avec toi…
mais je t’embarque dès que tu es prête !
j’ai voyagé avec toi mais je n’ai pas pris beaucoup de place…
merci françoise, tu n’étais pas bien loin…
merci françoise pour tes mots rassurants, suis touchée par ta lecture