regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit
[jrnl|temps passé]
Rue Molière, une porte entrouverte, une femme crie après quelqu’un. Les mots crachés se dispersent dans l’espace clos, s’échappent vers l’extérieur, ça ressemble à une dispute. Puis la porte d’entrée s’ouvre, une jeune femme sort comme si de rien n’était. Le jour n’est toujours pas levé. Plus loin, une fenêtre laisse entr’apercevoir un intérieur habillé d’une âme paisible. J’ai croisé le petit homme à la casquette blanche. Je ne l’avais pas vu depuis un moment, à tel point que je pensais qu’il avait changé ses horaires de sortie ou de travail. D’ailleurs, je n’ai aucune idée de ce qu’il fait dans la vie.

Les derniers trajets dans le tram, j’ai lu. Les yeux rivés sur les mots, des mots qui construisaient des phrases, des phrases qui prenaient sens. Rien vu autour de moi, concentrée sur le texte, l’histoire m’emmenait ailleurs. Je m’évadais, loin du monde, des regards vides, des écouteurs branchés, des doigts pianotant sur les claviers tactiles. Ce matin, on était deux à lire côte à côte, à tourner les pages de notre livre de poche. La jeune femme au JOT framboise est enfoncée, plutôt avachie sur son siège. Elle a mis son sac à dos sur le siège à côté d’elle comme pour dire la place est prise ! Elle joue sur son téléphone. Ses cheveux sont coupés plus courts, dégradés. Elle se regarde dans la glace en réajustant une mèche. L’homme assis en face de moi descend à Barrière du Médoc, je prends sa place dans le sens de la marche, celle souvent prise par la jeune femme au JOT framboise. Derrière moi, une femme d’un certain âge, cheveux argentés, a engagé une conversation soutenue avec un jeune homme, capuche sur la tête. J’observe la vitre du tram, elle a été gravée par un objet pointu. On peut lire koorça. Aucune idée de la signification de ce mot. Il fait encore nuit noire. Place des Quinconces, la fête foraine est plongée dans l’obscurité, je me demande quelles sensations évoqueraient le fait de s’y promener seule. Etre attentive aux bruits de la ville juste à côté, un soupçon feutrés, aux silences entre les allées, à l’atmosphère étrange d’un monde endormi, seule le spot de la grande roue veille.


En sortant du tram place des Quinconces, je passe par la rue de Condé, des travaux de ravalement d’un immeuble de pierre, les ouvriers embauchent, montent sur l’échafaudage. Soudain, il pleut. Je me mets à l’abri sous un porche en attendant d’aller sur les quais pour prendre le bateau. La pluie s’intensifie. Les gouttes d’eau rebondissent sur la chaussée. La lumière des réverbères reflète bien le rideau humide. Les rares passants accélèrent le pas.


Chez Jean aux Quinconces, des passants se sont arrêtés puis assis devant une tasse de café. Place de la comédie un homme s’affaire à nettoyer le sol du grand théâtre. On entend les oiseaux du cours du Chapeau rouge piailler. Le tram glisse devant l’Intercontinental. Tous les matins Sanna est courtisée par les camions des livreurs. Les pavés du trottoir de la rue Esprit des Lois ne sont pas tous scellés. La ville s’offre à moi. Respiration sur les quais, espace ouvert, vue imprenable sur le fleuve qui se love dans la ville, la traverse, la sépare aussi, en fait deux unités à part, rive droite rive gauche



































































