jrnl|c’était en novembre

regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit

[jrnl|temps passé]

Rue Molière, une porte entrouverte, une femme crie après quelqu’un. Les mots crachés se dispersent dans l’espace clos, s’échappent vers l’extérieur, ça ressemble à une dispute. Puis la porte d’entrée s’ouvre, une jeune femme sort comme si de rien n’était. Le jour n’est toujours pas levé. Plus loin, une fenêtre laisse entr’apercevoir un intérieur habillé d’une âme paisible. J’ai croisé le petit homme à la casquette blanche. Je ne l’avais pas vu depuis un moment, à tel point que je pensais qu’il avait changé ses horaires de sortie ou de travail. D’ailleurs, je n’ai aucune idée de ce qu’il fait dans la vie.

Les derniers trajets dans le tram, j’ai lu. Les yeux rivés sur les mots, des mots qui construisaient des phrases, des phrases qui prenaient sens. Rien vu autour de moi, concentrée sur le texte, l’histoire m’emmenait ailleurs. Je m’évadais, loin du monde, des regards vides, des écouteurs branchés, des doigts pianotant sur les claviers tactiles. Ce matin, on était deux à lire côte à côte, à tourner les pages de notre livre de poche. La jeune femme au JOT framboise est enfoncée, plutôt avachie sur son siège. Elle a mis son sac à dos sur le siège à côté d’elle comme pour dire la place est prise ! Elle joue sur son téléphone. Ses cheveux sont coupés plus courts, dégradés. Elle se regarde dans la glace en réajustant une mèche. L’homme assis en face de moi descend à Barrière du Médoc, je prends sa place dans le sens de la marche, celle souvent prise par la jeune femme au JOT framboise. Derrière moi, une femme d’un certain âge, cheveux argentés, a engagé une conversation soutenue avec un jeune homme, capuche sur la tête. J’observe la vitre du tram, elle a été gravée par un objet pointu. On peut lire koorça. Aucune idée de la signification de ce mot. Il fait encore nuit noire. Place des Quinconces, la fête foraine est plongée dans l’obscurité, je me demande quelles sensations évoqueraient le fait de s’y promener seule. Etre attentive aux bruits de la ville juste à côté, un soupçon feutrés, aux silences entre les allées, à l’atmosphère étrange d’un monde endormi, seule le spot de la grande roue veille.

En sortant du tram place des Quinconces, je passe par la rue de Condé, des travaux de ravalement d’un immeuble de pierre, les ouvriers embauchent, montent sur l’échafaudage. Soudain, il pleut. Je me mets à l’abri sous un porche en attendant d’aller sur les quais pour prendre le bateau. La pluie s’intensifie. Les gouttes d’eau rebondissent sur la chaussée. La lumière des réverbères reflète bien le rideau humide. Les rares passants accélèrent le pas.

Chez Jean aux Quinconces, des passants se sont arrêtés puis assis devant une tasse de café. Place de la comédie un homme s’affaire à nettoyer le sol du grand théâtre. On entend les oiseaux du cours du Chapeau rouge piailler. Le tram glisse devant l’Intercontinental. Tous les matins Sanna est courtisée par les camions des livreurs. Les pavés du trottoir de la rue Esprit des Lois ne sont pas tous scellés. La ville s’offre à moi. Respiration sur les quais, espace ouvert, vue imprenable sur le fleuve qui se love dans la ville, la traverse, la sépare aussi, en fait deux unités à part, rive droite rive gauche

jrnl|en noir et blanc

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[jrnl|temps passé]

Je n’ai pas vu la dame âgée dans son fauteuil roulant, seulement son canapé au tissu à dominante jaune, fané et démodé, les coussins dépareillés. Dans le tram, la jeune femme au JOT framboise, toujours à la même place, regarde inlassablement le paysage défiler devant ses yeux. J’aperçois sa carte professionnelle dépasser de la poche de son jean. Impossible de lire le nom de l’entreprise. Un père et son fils d’origine espagnole s’installent en face de moi. Ils échangent dans leur langue. Je n’écoute pas, je lis. Le long des quais, je croise un couple, je crois reconnaître la langue, les intonations, du russe. Ils marchent d’un pas lent, distant l’un de l’autre. J’intercepte leur regard. J’ai l’impression qu’ils ne sont pas d’accord. Elle ne dit rien, lui parlemente.

Le brouillard recouvre la ville, les trottoirs humides absorbent la faible lueur des réverbères. Je ne croise personne dans les rues. Les trois portes-fenêtre du numéro 12 de la rue de la République sont bien fermées, aucune lumière à l’intérieur. Aucun signe du petit homme à la casquette blanche. Je note, ça fait deux matins de suite. Le tram D se détache au croisement des rues. C’est un modèle réduit, pas beaucoup de places. J’en trouve une dans le carré, en décalé de la jeune femme au JOT framboise. Ce matin, ses cheveux sont humides, quelques mèches tombent sur son front. Sourire toujours absent, visage fermé, elle a un sac à dos noir sur ses genoux, un petit sac kaki en bandoulière. Elle pianote sur son téléphone puis regarde inlassablement au-dehors. Autour de nous, des personnes toussent.

Ce matin, je suis partie à l’heure. Marche tranquille d’une douzaine de minutes dans la pénombre ponctuée par l’éclairage tamisé des réverbères. Certaines rues en sont dépourvues ou presque, il fait noir. On peine à voir où l’on met les pieds. Au numéro 12, le volet du milieu est entrouvert, j’aperçois en retrait sur la droite une partie de la cuisine. Dans le tram, carré de droite, la jeune femme au JOT framboise est avachie sur le siège et à côté d’elle, deux femmes discutent jusqu’à que l’une d’entre elles descende à l’arrêt Barrière du Médoc. La plus sympathique me reconnaît et me dit bonjour. Dehors, il fait encore doux pour un mois d’octobre et la température devrait monter jusqu’à atteindre les 30 degrés dans la journée. Certains pointent du doigt le dérèglement climatique, d’autres s’en moquent. En attendant, les trois pieds de vigne sur ma terrasse entament une deuxième fleuraison, s’épuisent à ne plus rien comprendre. Même l’érable japonais qui règne en maître au milieu du jardin et avait perdu cet été la moitié de son feuillage est à présent en nouvelle floraison. En bout de branche, de jeunes pousses vert tendre apparaissent. Le long de la place des Quinconces, les platanes sont pratiquement dépouillés de leurs larges feuilles. Nous sommes deux à descendre place de la Bourse, je regarde s’éloigner d’un pas énergique la petite femme qui traverse la place en diagonale et disparaît dans le bâtiment du CIC.

jrnl|matin, la nuit

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[jrnl|temps passé]

Sur le chemin qui mène à l’arrêt du tram, je slalome entre les poubelles. Je rentre dans la rue de la République, peu éclairée. Mon regard s’attarde sur la façade de plain-pied du numéro 12, cherche derrière les volets à peine entrouverts la présence de la dame âgée dans son fauteuil roulant, elle est absente du paysage. À la place, sur la droite de la bâtisse, je devine une chambre. Avenue du 8 mai 1945, il y a ces deux barres d’immeuble de l’autre côté de la chaussée. Je compte environ 42 appartements sur 6 étages. 8 sont éclairés dans le premier bâtiment, 4 dans l’autre. Ces petites ouvertures lumineuses pétillent dans la nuit noire, signe que l’activité des foyers reprend peu à peu. A l’arrêt du tram D, personne sur le quai. Celui de 7h02 vient juste de passer. J’arrive sur le quai 2 mn après son passage. De l’autre côté des rails, le quai est vide. Eclairage de fin de nuit, ambiance dépouillée. Sur la place des Quinconces la fête foraine s’installe et les deux bateaux de croisière amarrés côte à côte dans le port de la Lune sont partis cette nuit.

Le Seabourn Ovation et le Riviera

En glissant un œil dans l’ouverture de la porte, j’entraperçois un ventilateur au 12 rue de la République. C’est le même que chez moi. La dame âgée en fauteuil roulant a dû s’en servir durant les périodes de canicule. Je longe les bâtiments construits sur l’ancien garage Renault. Le tram D est arrivé à l’heure. Peu de monde aujourd’hui. La jeune femme au JOT framboise n’est pas là. En revanche, je l’ai vue dans mon tram retour hier. Une femme au sourire sympathique me dit bonjour depuis quelques trajets lorsque je m’installe en face d’elle. Souvent, elle discute avec une autre connaissance. Elles se vouvoient et se souhaitent bonne journée lorsqu’elle descend à Barrière du Médoc. À ce même arrêt monte la jeune femme toute menue qui descend place de la Bourse pour tracer tout droit vers le CIC. Déjà Fondaudège-museum. Je me demande si je descends au prochain arrêt ou au suivant. Il fait nuit et les attractions qui se sont montées pour la fête foraine place des Quinconces se dessinent à la faible lueur du jour.

Le Canopée, cargot à voile

jrnl|tatouage

regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit

[jrnl|temps passé]

Je sors de la maison, je lève les yeux, Orion est juste en face de moi, belle, majestueuse, éternelle, c’est son moment de grâce. Sur le 45 ème parallèle, au croisement du méridien zéro, la vie commence à s’activer peu à peu dans les maisons. Certaines fenêtres s’éclairent. La température est douce, les habitants du quartier aèrent les maisons avant de les quitter pour la journée. La dame âgée de la rue de la République a pris place dans son fauteuil roulant. La lumière crue du plafond reflète sur les traits de son visage des zones d’ombre. La peau est pâle. Chacun sur un trottoir, à sens inverse, lui caché derrière la ligne de voitures garées dans la rue de la République, moi occupée à regarder l’heure, j’ai failli manquer de dire bonjour au petit homme à la casquette blanche. J’ai remarqué au dernier moment son hésitation à prononcer le mot comme s’il avait besoin de mon assentiment pour le faire.

Pas de BatCub ce matin. Le tram glisse le long des quais, le ciel s’est teinté de jaune, orange, c’est magnifique. Les bâtiments de la rive droite se découpent en ombre chinoise devant un ciel limpide aux tons dégradés de feu. J’ai longé les quais à pieds jusqu’au pont de Pierre que j’ai traversé en me délectant du point de vue sur la ville, ses façades de pierres blondes, le fleuve et le bouillonnement de ses eaux gorgées de limon. J’ai continué en traversant de biais la place Stalingrad et j’ai poursuivi sur les allées Serr jusqu’à mon but final. Le soleil s’installait alors à l’horizon.

J’ai marché d’un bon pas pour rejoindre l’arrêt du tram Mairie du Bouscat. La ville baignait dans un silence réparateur. On percevait au loin le bruit des réacteurs d’un avion encore en montée après le décollage, le tram de 7h en direction de l’hippodrome. Derrière les portes des maisons, on devinait des réveils lents, brumeux. Sur le pont de Pierre, j’ai croisé une jeune fille, des tatouages volumineux recouvraient ses deux jambes, c’était comme de la dentelle, c’était tout un roman qu’on pouvait imaginer décrypter sur cette peau découverte, offerte à tous. Elle est passée trop vite, seule mon imagination a construit le reste de l’histoire.

rt|sur la côte vendéenne, l’île d’yeu en automne

13h36, on rentre dans le département de la Charente-Maritime. Nuages bas, gris, à peine une éclaircie au loin. L’autoroute serpente dans la campagne. Après les parcelles de vignobles, les champs de tournesol, de maïs où ne reste qu’un paysage désolé d’une multitude de pieds coupés à ras. La texture du ciel s’épaissit, s’uniformise, se reflète sur le revêtement de l’autoroute. Aux abords de Fromentine, les nuages jouent avec leurs reflets dans les canaux d’irrigation.

Bientôt 18h, nous sommes bientôt installés dans le bateau de la Compagnie vendéenne. Les passagers se fraient un passage dans les allées encombrées, certains prennent place dehors, à l’arrière du bateau. Au début les enfants parlent fort, les adultes se saluent, se retrouvent pour certains. Un groupe de chasseurs avec deux chiens monte à bord devant nous. Un membre d’équipage prend le fusil de chasse pour le mettre en lieu sûr. Moteurs en marche, le bateau fait marche arrière, l’eau bouillonne, de l’écume remonte à la surface. La vitesse monte et l’étrave fend l’océan. On passe sous le pont de Noirmoutier, puis cap sur l’île d’Yeu. On croise le catamaran de la compagnie YC. Un mètre de houle, puis la mer se creuse un peu plus, 1,20 à 1,80m. Des visages pâlissent, des estomacs se nouent, un marin passe rassurer les personnes malades, leur conseille de prendre un peu l’air dehors ou de se délester de leur veste.

Posé au fond du bassin, le Camelys, son reflet dans le peu d’eau qui reste. À marée haute, on monte à bord comme si le vent du large nous appelait, le cœur battant, avide de découvrir un autre horizon. On marche sur le parquet marin, timidement. On promène notre regard sur les entrailles de la bête, son intimité. On monte sur le pont supérieur grâce à une échelle fixe, on s’imagine embarquer pour une campagne de pêche, inconscient de la réalité brute. Étroitesse des cloisons, petite coquille flottante sur une immense surface parfois docile, parfois indomptable, promiscuité de vie en équipage. L’air s’infiltre par tous les orifices déposant une pellicule d’humidité poisseuse sur les installations, les espaces à vivre.

On a accosté avec un coefficient de marée de 110. Ce soir, une lune pleine, rousse et joufflue se lève exposant sa surface lumineuse et granuleuse à la vue de tous. Assis à la terrasse d’un café, face au port, on se délecte de ses faveurs.

Petit déjeuner à l’Equateur. Le soleil arrose la terrasse. La température monte. Sur la table à côté, trois femmes d’un âge certain, lunettes de soleil sur le nez, papotent, jacassent sur tout et sur rien. Un brouhaha incessant de mots qui s’entrechoquent. L’une va se rendre à la boucherie, l’autre adore le prénom de Joséphine, la troisième raconte les péripéties d’une famille, la fille divorcée travaille dans une chocolaterie, les premiers jours ça allait, mais ensuite ça s’est dégradé, elle est tombée en dépression, moi je criais tellement j’avais peur avec ces gros oiseaux qui venaient sur nous (à l’écran), c’est superbe, c’est quoi ces 30 centimes, j’en sais rien, bon bien alors…

Jour de marché

On est parti en vélo se promener au bord du littoral. Rochers balayés par le vent d’Ouest, nature minimaliste, sauvage. On respire l’air du large, on se ressource, la tête nous tourne. On se projette ailleurs, on s’imagine une autre vie au goût salin.

Au retour, ce mouvement de l’eau, comme si un rouleau avançait en dessous de la surface, creuse un léger sillon, pour rendre vivante cette masse au ton bleu-vert sombre. Se laisser bercer. Le soleil dans le dos. Et cette ligne, au loin, où se rejoint l’élément liquide et l’élément air. Le bateau de la Compagnie vendéenne trace sa route éjectant de chaque côté des paquets d’eau et d’écume qui resteront un temps comme une preuve de son passage grâce à la traînée blanche, telle une écharpe veloutée, derrière lui.

Front de mer, Fromentine

rt|paris, un pied en automne

Arrêt sur une aire d’autoroute entre Bordeaux et Paris

Il a fallu se lever très tôt ce matin pour arriver vers midi en Île-de-France. Bercée par la ligne droite de l’autoroute, j’ai dormi sur une bonne partie du trajet. Pas vu Poitiers, pas vu Tours. Une grosse averse m’a réveillée alors que la voiture traçait sa route en plein milieu de la campagne. Première étape avant de rejoindre Paris, Boulogne Billancourt. Je rentre dans une brasserie, Odette, située au coin du boulevard Jean Jaurès et de la rue du Dôme. Il est 12h30 et la plupart des clients déjeunent. Ça sent la friture, la viande grillée. Je commande un Perrier tranche. Je capte quelques bribes de conversations, elles forment un brouhaha ambiant un peu gênant, brouille la concentration que je me force à soutenir pour lire mon livre. Des cuisines, derrière moi, s’échappent des bruits de vaisselle et de couverts qui s’entrechoquent. L’eau coule dans les éviers. Sur les fourneaux ça crépite. Dehors, capuches et parapluies ouverts, une pluie d’averse tombe sur le Square Soférino-Clamart. Assise sur une banquette confortable, en croute de cuir retournée, j’observe les tables autour de moi, des couples, des amis et collègues de travail. Sur ma gauche, une femme seule, étrange. Elle n’arrête pas de gigoter. Maquillage épais, pommettes rouges, trop rouges. Les coudes sur la table, tête penchée en avant, elle fixe maintenant la table après avoir pris des notes dans un carnet Clairefontaine jaune. Je remarque ses lèvres bouger, aucun son ne sort de sa bouche. Les serveuses vont et viennent, professionnelles, souriantes. L’une d’entre elles s’inquiète de mon attente, un peu longue. Je la rassure, tout va bien, la personne que j’attends est en chemin.

Quartier Latin en fin de journée, la Fontaine Saint-Michel, les touristes se prennent en photo. On attend les enfants. Joie de se retrouver. On s’embrasse, on s’enlace, on rit, on se dit des mots affectueux. Les questions fusent, on veut tout savoir des uns et des autres tout de suite. Effervescence. On marche dans les rues du quartier pour rejoindre la rue Mazarine. Le restaurant japonais, Kodawari Ramen, est bien noté. D’ailleurs, on fait la queue pour y rentrer. On apprend qu’il faut même se lister sur l’application pour espérer avoir une place quelques 2 heures plus tard. Ici pas de réservation à l’avance. Deux apéritifs plus tard, pris dans un bar rue de Buci, on sera appelé pour le dernier service. L’endroit est typique. A l’entrée, de chaque côté, des tablettes fixées au mur, tabourets hauts, puis le bar tout en long et au fond, une pièce minuscule avec 4 tables. Deux de 4 couverts, une de 2 et une autre de 3, c’est peu. A l’étage, après avoir grimpé les marches d’un escalier abrupt, les toilettes à gauche et une autre petite salle à droite, derrière un rideau. On commande à boire, à manger. Allergique aux fruits de mer, je ne pourrai pas déguster de Ramen, la spécialité de la maison, le jus comporte des traces de ces aliments. Le lieu est plaisant, nous plonge dans le Japon que l’on connaît, qu’on aime fréquenter sur place. Reproduction d’une petite ruelle étroite aux canalisations et fils électriques apparents. On mange, attablé sur une planche de bois posée sur des cageots en plastique, assis sur des tabourets bas. Le lieu est calme, sombre et étroit, esthétique d’un couloir pour rappeler les ruelles étroites de Tokyo.

Un samedi matin à La Défense. Errance et photographies. Passer de la couleur de l’IPhone au noir et blanc du Fuji.

Attendre le RER pour rejoindre la banlieue ouest. Se prendre pour une Parisienne durant quelques heures.

Gare Montparnasse, 19h44, le TGV Oui Go démarre. Voiture 11, place 141 et 142. On est dans le sens inverse de la marche, ce qui ne nous surprend nullement. On a cessé de demander, d’espérer, le résultat était le même. Ce soir, peu de monde voyage, c’est samedi et l’heure du repas. Dans le compartiment, se dégage une odeur forte de fast food et de transpiration. Le soleil s’est couché et le ciel se teinte de rose. Le TGV file à grande allure, me berce. Je lis, je somnole. Je retrouve ma ville.

jrnl du retour|un air de violon

regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit

[jrnl|temps passé]

En plein cœur du mois de septembre, il fait nuit lorsque je passe le portail de la maison. Une fois assise dans le tram, de ma place, j’assiste à ce moment toujours plaisant où le ciel s’éclaircit, se colore en douceur sans trop nous dévoiler ce que la journée nous réserve. A l’Est, le soleil s’apprête à se montrer, et à poursuivre sa route jusqu’au coucher. Quelques réflexions matinales saisies non loin de moi, je n’y prête que peu d’attention. Le tram traverse déjà les boulevards et, de part et d’autre, les phares des voitures éblouissent les passants pressés d’arriver jusqu’au quai du tram. Dans le carré, à côté et en face de moi, deux lycéens les yeux encore pleins de sommeil, des écouteurs blancs dans les oreilles. Derrière, deux collégiens papotent, contrôles, magie, épée magique, monstres, il parait que…. Je capte quelques bribes, j’ai du mal à tout rassembler, rien ne fait vraiment sens. La fille au JOT framboise s’efface derrière son visage inexpressif.

La lumière des réverbères est toute absorbée par le sol encore ruisselant des averses de la nuit. J’avance dans la nuit, remarque à peine la porte entrouverte de la dame âgée en fauteuil roulant et le petit homme à la casquette blanche (plus très blanche, en fait) que je croise sur le passage piéton de l’avenue Léon Blum. Le tram D est annoncé, je le vois arriver au loin, son gros phare blanc allumé. Comme hier, c’est un tram court, donc plus de monde dans un espace moindre. Je mets mon masque. Je suis la seule. Je trouve une place dans le sens de la marche dans le carré à l’arrière, juste à côté de la jeune femme au JOT framboise. Son portable allumé, elle joue à un jeu que je ne connais pas, style Candy Crush. C’est la première fois que je le remarque. Elle est adossée à la fenêtre et ne cesse de renifler. Je descends aux Quinconces, secouée par une envie soudaine de saluer Sanna, elle qui veille depuis dix ans sur la place de la Comédie. Sanna, de plus en plus majestueuse, de plus en plus inspirante, poétique. Se souvenir d’avoir croisé une de ses répliques en Californie cet été dans la Napa Valley au domaine de Hall. 

Refaire le soir, à la nuit déjà bien tombée le trajet du tram D dans l’autre sens. Place de la Bourse, une musique prend possession de tout l’espace, le son d’un violon, un air triste. Je reconnais quelques mesures de Je l’aime à mourir. Près de la fontaine, des passants forment un demi-cercle autour d’une jeune femme, pieds nus, robe longue. Elle joue, habitée, son corps longiligne à l’écoute. Certains la filment avec leur portable. L’atmosphère est douce, les terrasses des cafés, celles des restaurants débordent de clients. Ambiance festive. On prend son temps, on refait le monde, les couverts claquent, les verres tintent et on s’enfonce dans la nuit.

Je suis passée dans la rue de la République sans m’apercevoir qu’au numéro 12 les volets étaient encore fermés. J’ai quitté la maison à 6h52 ce matin. C’est normal, je suis passée avant 7h. Je me demande ce que la dame âgée en fauteuil roulant fait durant ces quelques minutes avant que l’aide-ménagère ne fasse le code du padlock, prenne la clé et ouvre le volet de l’entrée en s’annonçant à voix haute, c’est moi ! Au passage piéton suivant, j’ai croisé le petit homme à la casquette blanche, il était vêtu d’un bermuda dont je n’ai pas saisi la couleur dans le noir, vert sapin ou bleu marine peut-être. J’ai vu passer le tram D, Hippodrome était noté en lettres lumineuses sur le devant de la cabine du conducteur. Deux personnes avaient pris place. A l’arrêt Fondaudège museum, le tram commence à être chargé. Dans mon dos, je devine le regard évasif de la jeune femme au JOT framboise, en me retournant vers la vitre, je tente de l’apercevoir, en vain. Le tram observe un arrêt à côté de la fontaine aux Girondins, la place des Quinconces baigne dans la nuit de cette fin d’été.

jrnl du retour | la pluie noircit les trottoirs

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[jrnl|temps passé]

Il fait déjà 22°C lorsque je sors de la maison. Le petit portail est ouvert, étrange. Le sol est encore humide des averses de la nuit et le jour peine à se lever. Je marche d’un pas soutenu, croise deux personnes, dont le petit homme à la casquette blanche. Lui, il dit bonjour ! Derrière les volets fermés, des lumières s’allument, des fenêtres s’ouvrent dans l’espoir de laisser passer un mince filet d’air. Je crains que la journée soit encore très éprouvante. C’est un tram D court qui s’arrête Mairie du Bouscat. Conséquence, il y a plus de monde. Je trouve tout de même une place assise.

Dans la nuit, orages et averses. Au petit matin, la pluie a noirci les trottoirs, la température est déjà élevée et des gouttelettes en suspension dans l’air se déposent sur mes vêtements. J’aimerais pouvoir m’arrêter et observer la vie clandestine au travers des vitres des fenêtres d’où s’échappe la luminosité des pièces habitées tôt le matin, sentir l’odeur du café, entendre le son du jet de douche sur les parois carrelées et les voix inaudibles, mais présentes. La vieille dame de la rue de la République n’est pas encore levée. Au-delà des volets entrouverts, j’aperçois une source de lumière dans le fond de la pièce principale. Quelques mètres plus loin, je croise le petit homme à la casquette blanche, mains dans les poches. Rituel du bonjour, deux syllabes qui claquent dans la nuit silencieuse, et je me demande ce qu’il en pense, si parfois il n’a pas juste envie de passer son chemin, la tête dans les épaules, les yeux suspendus au bout de la rue.

Ce matin, le tram de 7h08 n’est pas passé. Les gens se sont accumulés sur le quai. Nous sommes montés dans celui de 7h17, bondé. Je remets le masque, le Covid rôde parait-il. Barrière du médoc, une place assise se libère, je m’assois, c’est plus confortable pour écrire. Déjà 7h28 et les Quinconces sont en vue. Je ne prendrai pas le bateau ce matin.

J’ai marché d’un bon pas ce matin. Pas le temps de penser. Juste un œil jeté au n°12 de la rue de la République, chez la petite dame âgée assise dans un fauteuil roulant. Les volets étaient encore clos. Juste un bonjour en croisant le petit homme à la casquette blanche. Se caler sur le rythme de la marche, du souffle et se rendre compte que ma bouche était sèche qu’il fallait faire revenir la salive pour enfin déglutir. Le tram D est bien passé cette fois. Pas de nouvelles de la jeune femme au JOT framboise cette semaine. La dernière fois que je l’ai vue, elle semblait éteinte ou plutôt désabusée. Le ciel s’éclaircit mais le soleil n’est toujours pas levé, dans 25 mn à 7h40. Je serai sur le BatCub. Et là, ce sera un spectacle magnifique, toute la rive gauche illuminée par ses rayons incandescents qui viendront terminer leur route, projetés sur les façades blondes, les vitres.

jrnl du retour|un bureau éphémère

Je poursuis cette promenade hebdomadaire à l’aveugle, sans trop savoir où elle me conduit, entravée entre deux espaces, celui des routes interminables tournées vers l’Ouest et celui du présent tel qu’il s’enchaîne devant moi. Je picore ces moments livrés par la vie, les fige comme ils se présentent, comme ils s’offrent à moi dans une authenticité désarmante et je les transcris dans le vif de la matière, sans retouche parce qu’il y a des instants croisés aussi intimes soient-ils qui méritent le regard que l’on pose sur eux.

Il y a aussi cet espace et ce temps inscrits dans le tumulte des jours. Ce parcours de 15 minutes dans le tram D emprunté trois fois par semaine, un sas où tout se joue. Ecrire, lire, observer? Faire un choix. Le siège sur lequel je suis assise devient mon bureau éphémère, mon téléphone un outil d’écriture.

Là -bas – Comment rappeler à soi les sensations que procurent la route, les images accrochées à la mémoire devenue friable, les existences croisées et les mots saisis sur le vif? Se replonger dans les notes, les photos, refaire le chemin encore et encore. Celui qui mène à sa propre vérité, son propre regard sur le monde.

Ici – Ce matin, dans le jour naissant, j’ai croisé le petit homme à la casquette blanche, tout de clair vêtu. Il portait un bermuda. Nous nous sommes dit bonjour lorsque notre trajectoire s’est rejointe. Je marchais d’un pas soutenu, pas envie de manquer le tram. Le ciel se teinte de jaune, le nuage de sable est toujours présent et crée une ambiance surréaliste dans la ville. Il fait déjà plus de 20 degrés et je redoute une nouvelle journée prévue à 36-38 degrés. Place de la Bourse, la femme brune toute menue descend devant moi pour se rendre d’un pas énergique au CCI. Elle rentre par la grande porte blanche après avoir tapé un code sur un clavier. La traversée du fleuve, paisible, et de l’autre côté, une fois sur le quai Yves Parlier, s’arrêter et observer le soleil qui fusionne avec les vitres des hôtels particuliers.

Et cette maison familiale depuis des années vendue qui revient régulièrement me hanter en boucle. Celle qui m’a recueillie pour ma première venue en France quelques semaines après ma naissance et les années qui ont suivi. Mes souvenirs y sont toujours inscrits dans les murs, je le sens. Quelque chose vibre encore derrière les volets clos. Je reçois les photos de M., ma fille aînée, avec tendresse. Elles ont été prises le week-end dernier. Il semblerait que le virus soit transmis ou du moins, qu’un intérêt soit éveillé.

jrnl du retour|de marbre vêtue

regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit

[jrnl|temps passé]

Il y a quinze jours on rentrait en France et aujourd’hui je me demande combien de temps va durer cet état mental flottant qui consiste à évoluer dans un espace d’entre-deux, ici, pas ici, encore là-bas, mais physiquement de ce côté-ci de l’océan Atlantique. J’ai encore laissé en retrait des morceaux de moi-même sur cette terre impitoyable. Et cette sensation que l’histoire n’est toujours pas terminée, que le chapitre est loin de l’être. Au fond de moi, la certitude d’y retourner, l’espoir de poursuivre l’aventure. Les souvenirs proches, ceux d’hier, se mêlent au présent, brouillent les pistes, ralentissent le temps. Je me demande comment encore exister dans cette dimension sans perdre espoir.

Il fait encore nuit lorsque je ferme la porte de la maison, et sur le trajet en allant vers le tram D le ciel s’éclaircit peu à peu. Les trottoirs sont toujours aussi défoncés. Je croise une personne, avenue du 8 mai 1945, ce n’est pas le petit homme à la casquette blanche, il ne dit pas bonjour. Ici, on ne dit pas bonjour quand on se croise dans la rue, chacun garde ses distances. L’indifférence dérange, développe la gêne. La chaussée est mouillée, le ciel bas et couvert. Je prends le tram de 7:02, j’arriverai un peu tôt pour prendre le bateau, tant pis, je profiterai de la ville au lever de soleil. Dans la dernière rame du tram, des femmes discutent entre elles, des mots s’échappent de partout dans ce petit volume, impudiques, des bribes de vie – il fera ce qu’il veut.. mais il est tout petit le magasin… c’est Julie… la question ne se pose pas, il n’ira pas… elle n’acceptera pas… elle a envie d’avoir un enfant, ça tombe bien. Aux Quinconces, je décide de descendre malgré quelques gouttes de pluie, petites perles transparentes sur les vitres du tram. Je fais un détour par la place de la Comédie, j’ai du temps. Et puis, revoir Sanna, lui dire à demi-mot que j’ai croisé une de ses versions en Californie, qu’elle était belle aussi, plus petite et de marbre vêtue. C’était émouvant. Faire cette connexion, ce rapprochement, transmettre un message improbable. A l’entrée du parking Jean Jaurès, toujours le même SDF qui dort enroulé dans une couverture. Le jour s’est maintenant levé. Il n’y a personne sur les quais, seuls des agents de nettoyage, quelques vélos. Le BatCub arrive. Revoir le fleuve, l’approcher, naviguer 4 minutes sur ses eaux boueuses, me réconcilier peu à peu avec la vie qui reprend ici.

Sanna

Sortir à l’heure ou presque. Se dire d’être plus rigoureuse cette année sur le temps de travail. Éviter l’affluence dans les transports en commun. Place de la Bourse, des groupes flânent, des passants traversent dans tous les sens. Un rayon de soleil se glisse entre deux nuages et la chaleur monte dans le tram D. A côté de moi, un homme ne cesse de bâiller, un autre se cure le nez. Un SDF est monté à l’arrêt précédent, une odeur forte se diffuse dans la rame, insupportable, personne ne bouge. La jeune femme au JOT framboise entre dans le tram à l’arrêt Quinconces. Je ne l’avais jamais vu sur un trajet retour. Pas de sac déjeuner. Peut-être est-elle en congé.

7:05, les lampadaires s’éteignent. En passant dans la rue de la République, la porte d’entrée de la petite dame âgée était ouverte et, à travers la vitre, j’ai entraperçu l’aide-soignante qui vient tous les jours aux environs de 7:00, elle lui parlait d’une voix douce, rassurante. De loin, j’ai vu le tram D de 7:02 imprimer son image au bout de l’avenue du 8 mai 1945. A l’arrêt du tram, le quai se remplit peu à peu. Je reconnais quelques habitués, notamment une femme qui vient en trottinette. Je m’assois en face de la fille au JOT framboise. Pas très bavarde, mutique même. Apparemment, je semble la déranger, elle replie ses jambes qu’elle avait étalées vers son siège. A son annulaire gauche, je remarque une chevalière en argent. Entre-temps, le jour s’est levé. L’ambiance est calme, les collégiens et lycéens n’ont pas encore repris dans les établissements scolaires. Le fleuve est haut, les grandes marées arrivent. Le BatCub pour Lormont vient de quitter le quai. Celui que j’attends traverse la Garonne. Le banquier est arrivé avant moi. Du tram, j’avais aperçu sa silhouette, son attaché-case au bout des doigts. Comme à son habitude depuis 2 ans que je fais ce trajet, il desserre à peine la bouche pour laisser s’échapper un imperceptible bonjour. Son visage est constamment fermé, un pli marque la peau au-dessus de l’arête du nez, l’inquiétude. En descendant, il se dirigera droit vers l’entrée de la Banque Populaire, sans se retourner, d’une allure robotique.

Le sol est mouillé, il a dû pleuvoir cette nuit. Rien entendu. Je pars tard ce matin, ne sais pas si j’aurai le tram habituel. Sur le chemin, les lampadaires s’éteignent comme par magie. Dans le tram, que j’ai pu avoir à temps, la fille au JOT framboise fait toujours la tête. Je m’assois en face d’elle. Ça semble la déranger. Pas un regard, pas un sourire. Le visage fermé, le regard dans le vide. Je sais qu’elle descendra à Porte de Bourgogne et qu’elle prendra le tram C , mais je ne sais pas jusqu’où. Je me dirige vers l’arrêt du BatCub par les allées des jardins. Mon pied bute contre un morceau de verre et l’envoie valdinguer plus loin. Pratiquement que des joggers en front de fleuve. Les eaux sont hautes, les grandes marées sont annoncées pour ce week-end. La marée poursuit sa montée, beaucoup de courant, le BatCub est presque au niveau du quai. J’échange quelques mots avec la conductrice. Elle me confirme que les grandes marées arrivent et que, fait rare, il y a deux pleines lunes dans le mois. Le bateau tangue légèrement. A l’Est, les nuages rosissent. Avant d’arriver à l’entrée du Jardin botanique, je longe un mur, toujours cette double porte au bois peint en bleu, d’un bleu passé qui contraste avec le vert de la vigne vierge. Toujours ce désir de la prendre en photo. Depuis le retour, sensation que les gens sont tristes, regard fuyant, ambiance pesante.

jrnl du retour|le souvenir, déjà

regard du dedans, vie au dehors | le temps enroulé à l’infini et le jour ressemble à la nuit c’est ici que tout commence ou recommence là où l’histoire se dit

[jrnl|temps passé]

Le retour. On est là sans être là. On dort le jour. On vit la nuit. Tout est décalé. Chez soi n’est plus tout à fait chez soi, il faut se réapproprier la place. On est encore ailleurs, pas encore ici. Le retour, c’est comme mettre à distance ce qui vient d’exister. On y croit plus vraiment, était-ce bien réel? Un balancement entre rêve et réalité. Rêve. Réalité. Des images me reviennent. Le souvenir, déjà. Je regarde les photos. Oui, c’est bien ça, plus de doute sur l’existence des dernières semaines. Le jet lag bouscule le corps meurtri par la violence d’un vol de nuit. Aucune concentration possible pendant quelques jours. Le brouillard, comme celui des bords du Pacifique, comme s’il œuvrait encore pour faire le lien, pour ne pas oublier, pour dire que c’était bien vrai. On y était.

En milieu de semaine, renouer pour deux, trois heures avec la ville, ma ville. Les habitudes. 14 heures, je sors de la maison, l’air est à peine respirable. A l’Est, ciel bleu à l’Ouest une couverture nuageuse se répand poussée par le vent d’altitude et je n’ai pas tourné le coin de la rue que le soleil disparait. Personne dans les rues, deux trois passagers à l’arrêt du tram. Je dégouline de sueur. Je m’hydrate comme je peux, gourde d’eau fraîche, vaporisateur, éventail, rien n’y fait. Quelques voitures arpentent les rues. Les volets des maisons sont complètement tirés. Monter dans le tram après plusieurs semaines « d’ailleurs ». A peine perceptible, l’air conditionné fait du bien. S’arrêter deux arrêts avant les quais, se rendre au rendez-vous qu’on ne pouvait pas repousser malgré les fortes chaleurs. Tout me semble irréel. Projetée là dans la ville. Les arrêts ne bougent pas. Les gens si peu. Plutôt une population de vacanciers assommés par la canicule. Dans le tram, s’assoir côté opposé au soleil. Les 10 mn de trajet me semblent une éternité. Puis longer les trottoirs à l’ombre, de préférence. Croiser un couple avec deux jeunes enfants, je capte quelques mots prononcés dans une langue familière, de l’anglais américain. Je souris, ça fait du bien. 14:38, je rentre sous le porche au 68 de la rue P et prends l’ascenseur jusqu’au 3ème étage. A l’ouverture des portes, une fraîcheur bienfaitrice m’enveloppe. Derrière le plexiglass, l’assistante médicale m’enregistre machinalement, reste aimable ce qu’il faut.

Rentrer sans avoir vu les quais, le fleuve, les pierres blondes du cœur de la ville. Il fait tellement chaud. Dans le tram D, pratiquement en face de moi, une jeune fille toute de rose vêtue, T-shirt Nike et baskets. Une Barbie potentielle ! Sourcils tracés au crayon, mascara sur les cils pour mettre en valeur ses beaux yeux gris bleu, peau lisse enduite de fond de teint, joues roses. C’est Magdeleine, un pendentif à son cou l’indique. Par-dessus ce dernier, une croix. En face, sa mère, coupe au carré, raie au milieu comme elle. L’une blonde décolorée, l’autre blonde naturelle. Et ce souvenir qui me revient, celui d’avoir cherché la maison de Barbie à Malibu le mois dernier. Quelques recherches sur Safari, puis sur Google Maps et le tour était joué. C’était sans compter la route privée qui monte jusqu’à la propriété. Oublier cet arrêt infructueux et attendre son tour sur Airbnb pour réserver, ou pas ! Je reviens au temps présent, mon arrêt se profile au loin. Le thermomètre frôle les 40 degrés, la température ressentie les dépasse. Ce sont les joues en feu, le regard hagard que je passe le pas de la porte. Enfin de la fraîcheur, toute relative toutefois.

Malibu 2023
Quand l’Amérique nous rattrape !

Les jours passent. Calfeutrée à la maison à tenter de retrouver un rythme jour/nuit décent malgré la fournaise au dehors, à marcher dans la maison sur ses propres pas, ceux d’avant, les réapprendre, à écouter les bruits du dedans, du dehors redevenir familiers, le chauffe-eau qui s’allume dans le garage, le carillon qui chante dans le vent, le lave-vaisselle qui s’enclenche, une porte qui claque chez les voisins, la rue la nuit, les lampadaires qui s’éteignent à 1 heure, le passage des voitures qui se raréfie, les chats qui guettent derrière la vitre.

crnt US|los angeles 9

[les carnets de route ailleurs là-bas]

éphémérides : lever du soleil 06:17, coucher 19:39, nouvelle lune /// prévision météo Los Angeles : matin 20°C, après-midi 30 ress. 34, soir 22, nuit 18

TRAJET 18/08 /// Time to go back home

Dernier check out d’hôtel et dans les valises de quoi nourrir les semaines à venir avec ce qu’on a pu voir, traverser et ressentir durant ce road trip californien. Le temps viendra du bilan. Refaire la route dans la tête, par bribes, étape par étape, se souvenir des détails en relisant les écrits, en les réécrivant, trier les photos gardiennes du déroulé du film. Garder une trace de ces moments précieux, marques indélébiles du souvenir, de ce goût unique et particulier du voyage, cette invite à recommencer, à repartir vers une autre destination, une autre aventure.

La brume est toujours au rendez-vous ce vendredi matin, égale à elle-même depuis notre arrivée sur les bords du Pacifique. Les quelques miles qui nous séparent de l’aéroport dévoileront certainement un beau ciel bleu dans lequel nous nous envolerons. Pour le moment, un dernier passage au diner du coin. Demain, on sera loin d’ici et ce moment apparaîtra comme un mirage. On parle déjà de revenir, ça donne du courage, un objectif pour traverser l’année à venir plus sereinement.

La route vers l’aéroport se fait sous le soleil. On l’avait pressenti. Ce beau ciel bleu nous nargue. Remonter Aviation Blvd jusqu’au loueur de voiture, un pincement au cœur. Rien de transcendant sur ce parcours. Comme un paysage de coulisse, des usines, du rien. En approche de l’aéroport de LAX les avions se posent les uns derrière les autres dans un bruit de soufflerie impressionnant. Le loueur de voiture est juste en dessous de ce couloir. Les clés déposées dans la voiture, le check out terminé, le bus à l’enseigne du loueur attend dehors. Il va nous déposer au terminal de départ.

I

Ici, le temps se distend, l’enregistrement des bagages effectué, les filtres de police et de sécurité passés, l’attente commence en salle d’embarquement 204. L’avion arrive, toute la logistique s’affaire autour. Les passagers débarquent. Nous ne les verrons pas. La salle d’embarquement se remplit peu à peu et autour ça parle de plus en plus français, ça devient de plus en plus bruyant. L’embarquement ne va pas tarder.